JE T'AIME. Trois mots reflétant un sentiment profond envers une personne. Une vérité. Un mensonge parfois. L'amour, quelque chose que l'on ne peut contrôler.

Je n'ai jamais réussi à vraiment dire ces trois mots. Notamment à ces proches qui auraient du l'entendre. Plus qu'une figure paternelle, mon père fut mon réel point d'ancrage. Ma mère étant décédée depuis bien longtemps déjà. Je ne me rappelle que de très peu de souvenirs avec elle. Lorsque par exemple elle me brossait les cheveux délicatement, les tressant et chantonnant doucement à mes oreilles des berceuses l'heure venue de me coucher. Ou bien de ce fameux gâteau au chocolat que j'avais balancé sur Théodore Whilcox lorsqu'il avait tenté de me faire un bisou sur la bouche. Nous n'avions que cinq années à ce moment là. Et c'est quelques mois avant mon sixième anniversaire qu'elle nous avait quittés mon père et moi. « Partie au ciel » disait-il lorsqu'il tentait de m'expliquer pourquoi maman n'était plus là.

Il a du m'élever tout seul, il a été de ce genre de parent à devoir tenir deux rôles différents : père et maman à la fois. Il ne s'est jamais remarié depuis son décès. Pourtant j'en ai eu des « belles mères », certaines que j'ai réussi à apprécier d'autre que j'ai haî de tout mon être. L'histoire typique d'une fille unique qui a du grandir sans figure maternelle selon moi. Je ne m'en plains pas cependant, le passé est le passé et il est certain que je ne pouvais rien changer. Lorsque grandissant, les années passant tout naturellement, mon père se décida un jour à me parler ouvertement de la mort de ma mère, j'appris lors d'un dîner qu'un accident de voiture m'avait arraché ma mère. Elle rentrait du magasin de fleur qu'elle tenait avec mon père. Elle avait fini plus tôt ce jour là, elle devait faire des courses à l'épicerie et n'avait guère pu les faire... J'avais treize ans quand je sus cette vérité.

A mes quinze, je me rappelle encore quand Théodore était monté me retrouver dans ma chambre, trouvant l'idée géniale de tester ses talents de chimpanzés et montant par la fenêtre. Ne connaissait-il pas le principe d'une porte ? Même si, depuis que mon corps avait commencé à changer, mon père avait décidé que j'étais trop jeune pour avoir des garçons dans ma chambre. Quelle idée saugrenue lui était-elle passé par le crâne ? A cet âge là je n'étais en aucun cas pleinement consciente que mon corps pouvait attirer les garçons. Mon voisin depuis toujours et meilleur ami au passage avait compris que je n'allais pas bien. Si presque dix ans plus tôt ma mère n'avait pas été sur cette route, elle aurait préparé un gâteau et en rentrant du lycée elle aurait soufflé ses bougies avec nous lors du dîner du soir. Ce jour là Théodore m'avait pris dans ses bras et ce jour je compris ce que voulait dire « des papillons dans le ventre ». C'est depuis ce soir là que j'ai développé des sentiments pour mon meilleur ami.

Mon bal du lycée il était comment ? Dans ces bras à lui. J'étais jeune, ce souvenir restera jamais à graver dans ma mémoire. D'un commun accord, nous avions décidé d'y aller ensemble. Entre « ami », sans complications, juste un moment à passer et que nous garderions en mémoire. J'avais une jolie robe rose ce soir là, lui un costume qui lui allait à ravir. Quand il m'avait proposé de l'accompagner, j'avais été heureuse... Vraiment à l'idée d'être sa cavalière. Soirée au lycée. Il n'avait toujours pas compris ce que je ressentais à son égard. Lorsque nous parlions par texto durant des heures. Il n'avait jamais tilté que c'était un besoin de lui parler quasi tout le temps. Ce soir là, lorsqu'il m'avait ramené chez moi à la fin de la soirée, j'avais sauté le pas, levé le voile sur mes désirs et je lui offrir mon premier baiser.

A partir de là, il m'avoua qu'il avait attendu ça bien longtemps. J'appris ainsi que stupide que j'avais été, je n'avais rien vu. Nous ne nous quittâmes plus par la suite. Nous finîmes nos études ensemble. Il fut mon premier amant. Le seul également. Je crus bien longtemps à un conte de fée. Ce même conte de fée qui avait fait que mon père n'avait jamais retrouvé quelqu'un susceptible de remplacer ma mère. Un véritable amour. Le seul, l'unique. Il avait été le seul... Il est encore l'unique à ce jour... Mais il n'était plus lui aussi. Parti. Il m'avait également été arraché...

«  Le cœur a ses raisons que la raison ignore »

Mon cœur ne bat plus correctement depuis qu'il est parti. Lui et ses boucles soyeuses, lui et son regard à croquer. Et ne parlons pas de ses lèvres... Oui il n'est plus. Hormis dans mes souvenirs encore intacts. Je peine encore à passer devant son appartement. Dure tragédie il y a quelques mois de cela qui nous l'a enlevé. Je revenais de mon service du soir dans un des restaurants de la ville quand je reçus ce coup de fil d'un ami à nous m'annonçant que mon aimé avait reçu un mauvais coup lors d'une soirée arrosée et que suite à un trauma, il avait fait une commotion cérébrale qui lui avait coûté la vie. Ce soir là... Je m'étais effondré dans les bras de mon père. Ce soir là... J'ai eu l'impression de perdre une partie de moi.

Maintenant ? J'ai encore du mal à aller vers les autres. Malgré les vaines tentatives de mes amis pour me faire sortir. Je n'arrivais pas à aller de l'avant. J'avais fini par quitter mon boulot de serveuse. J'avais réussi mon pari. Travailler dans le domaine du livre. Je travaillais désormais dans une librairie. Me perdant parmi les nombreux ouvrages. Chaque jour j'avais ma routine. Me réveiller. Me préparer. Le supporter. Bosser. Manger. Bosser. Rentrer. Le supporter. Pioncer. Puis chaque jour c'était la même rengaine. Le ? C'est qui ? C'est cette bombe que j'ai en colloc. Celui qui ramène les filles à la maison si vous voyez ce que j'veux dire... Ce gars m'est aussi insupportable que la mayonnaise et la moutarde. Il est aussi ma seule chance de garder ce toit sur ma tête. Celui là je ne sais pas pourquoi je ne peux pas le voir en peinture. Ok, il est sûrement tombé du ciel, sa mère doit s'appeler Vénus ou s'en rapprocher, mais il est également tout ce que je n'aime pas : dragueur et terriblement idiot.

PS : et si dans le fond... J'étais cette éternelle fille qui avait du mal à voir les choses... Et qui finalement se voile la face et se rend compte dix ans après de la vérité qui tôt ou tard finit par s'imposer.
PS² : Je t'aime... Trois mots. Un sentiment profond. De la joie. De la douleur. Du plaisir. Tout ce panel de sentiment dur à retrouver ou à cerner. Un apollon comme ultime tentation. Un voile à lever.