Je me fondais dans mon rôle. Dans le bus qui traversait Londres pour m’amener au boulot, j’essayais de devenir quelqu’un que je n’étais pas. C’était chaque fois pareil: sauver les apparences. Avoir l’air un brin arrogant, indifférent aux regards qui se posaient sur moi. Ce n’était pas vraiment moi tout ce bordel d’appareils photos, de gens qui observaient, qui se chuchotaient des choses à l’oreille ou qui vous hurlaient d’être plus comme ceci ou moins comme cela. Mais j’avais besoin de ce job. J’en avais besoin pour survivre. Et je commençais presque à y prendre gout. J’avais en effet signé un contrat assez conséquent qui allait m’offrir quelques mois de tranquillité. Je n’aurais pas à me demander comment j’allais pouvoir manger du 23 au 30. 
Une vieille dame me souriait. Elle était assise en face de moi, avec un ensemble jupe et veste habillée. Avec un peu moins d’acuité visuelle, j’aurais pu la prendre pour la Reine. Mais la Reine ne prenait pas le bus. Je me souris à moi-même ainsi qu’à cette vieille dame. Et comme elle avait l’air d’avoir besoin d’aide pour descendre ses courses, je descendis une station de bus avant pour lui venir en aide. Elle eut un regard reconnaissant mais ne parla presque pas sur le chemin qui nous menait chez elle. Une fois arrivés, elle me sourit à nouveau et me remercia, puis disparut derrière sa porte d’entrée.

Un coup d’oeil à ma montre m’apprit que j’avais au moins dix minutes de retard. Je m’insultais intérieurement tandis que je courais à travers les rues de la capitale, bousculant sur mon passage tout ceux qui avaient le malheur de marcher là. Je pensais à ce qu’allait dire mon agent. Et le photographe. Et les éventuelles personnes qui allaient bosser avec moi sur ce projet. Je me détestais. Surtout que c’était tout à fait moi: il fallait que je me disperse toujours au mauvais moment. Et que je me débrouille pour me mettre bêtement en retard pour le rendez-vous le plus important de l’année. C’était juste incroyable. J’arrivais devant le bâtiment. Il était impressionnant. A la hauteur surement du contrat que je venais de signer. Le stress m’envahit tout à coup. Je saluais les personnes de l’entrée et me dirigeais directement vers l’endroit qu’on m’avait indiqué. L’autre. Devient l’autre. Devient l’autre et respire. Respire. Respire. Respire. Ça va aller. Je me donnais des conseils intérieurs mais j’avais bien du mal à les suivre. Je filais donc à travers les corridors et les escaliers, n’ayant même pas pensé à emprunter un quelconque ascenseur.



J’arrivais enfin devant la pièce où devait avoir lieu le shooting. Je m’arrêtais un instant devant la porte close. Prenant une profonde inspiration. Vingt minutes de retard. C’était plutôt raisonnable. Du moins je l’espérais. « Bonjour. » dis-je, faussement enjoué, en poussant la porte. Au regard du photographe, je compris que vingt minutes, ce n’était pas raisonnable du tout. Pourtant, il ne fit presque aucun commentaire et me dit simplement: « Filez au maquillage, on est déjà en retard. » J’acquiesçais dans un petit mouvement de tête affirmatif et partais dans la direction indiquée. Il y avait déjà là-bas une blonde que j’avais remarquée auparavant. On avait dû se croiser à deux ou trois reprises sur d’autres séances et elle me rendait toujours la vie impossible. Je soupirais. Il ne manquait définitivement plus qu’elle. « Salut » lui dis-je, m’asseyant à côté d’elle alors qu’elle se faisait maquillée. « Bon si on doit bosser ensemble là-dessus, j’aime autant qu’on signe l’armistice. J’ai déjà passé une assez mauvaise journée. »